Le pape François qui a reçu lundi
18 mars en audience privée le cardinal Philippe Barbarin, a refusé la
démission que celui-ci venait lui présenter, après avoir été condamné le
7 mars à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé à la
justice les agressions pédophiles commises dans son diocèse par le père Bernard
Preynat. Le primat des Gaules, qui reste donc archevêque de Lyon en attendant
son procès en appel, a annoncé mardi 19 mars qu’il se mettait « en
retrait pour quelque temps ».
« L’image
désastreuse d’une institution qui se protège »
Danièle
Hervieu-Léger, sociologue des religions
Directrice
d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
La situation est
illisible, autant en externe qu’en interne. Le point de départ de cette
confusion, ce n’est pas la décision du pape mais c’est l’appel du cardinal
Philippe Barbarin. Il l’a voulu, sous la pression de ses avocats et pour
rétablir sa dignité de citoyen, mais à travers cela, il a perdu sa dignité
d’évêque dont la première responsabilité est d’assurer l’unité du peuple qui
lui est confié. Il était peut-être légitime de faire appel comme citoyen, mais
pas comme évêque. L’archevêque de Lyon aurait eu la dignité de ne pas faire
appel, le pape aurait pu accepter sa démission, celle de quelqu’un qui s’est
simplement tu et qui porte les fautes morales et juridiques commises par ses
prédécesseurs. Le cardinal Barbarin serait alors sorti par le haut.
Mais là, le
pape était piégé, les avocats du cardinal Barbarin ayant présenté le dossier de
leur client en mettant en avant la présomption d’innocence. Or il a bien été
condamné par un tribunal. Le jugement est certes suspendu par une procédure
d’appel mais il existe bien. Et s’il y a peut-être matière à casser le jugement
sur le plan juridique, la responsabilité épiscopale du cardinal Barbarin aurait
dû lui permettre de réfléchir au-delà des arguments juridiques.
De plus, sa mise
en retrait n’a pas valeur réparatrice puisqu’il garde la plupart de ses
prérogatives : il
garde la signature pour certains dossiers diocésains, comme il l’a lui-même dit, et il reste membre du Sacré Collège – ce qui lui permettrait de participer à un éventuel conclave. Donc ce retrait lui évite seulement les coups les plus
durs qu’il laisse à son vicaire général modérateur (le père Yves Baumgarten,
NDLR) la charge de gérer.
Le vrai problème,
c’est donc bien la manière dont cette démission a été présentée au pape et je
ne peux m’empêcher de penser que le cardinal Barbarin a été doublement dans la
duplicité : en
piégeant les victimes et
les fidèles, qui ont raison d’être en colère, et en piégeant le pape qui apparaît maintenant comme n’étant pas cohérent avec la « tolérance zéro » qu’il veut promouvoir.
Cette situation
de confusion est terrible car elle laisse dans l’opinion publique l’image
désastreuse d’une institution qui se protège, qui n’applique pas ses promesses.
L’Église n’est plus qu’un sujet d’indignation. Cela, me semble-t-il, est
irrattrapable. L’Église a perdu définitivement son capital de confiance et
c’est particulièrement terrible pour tous ces prêtres âgés de plus de
75 ans qui ont tout misé sur cette institution et dont le monde s’écroule.
Maintenant, la seule chose possible – mais le pape ne le fera pas –, serait de
redéfinir complètement le ministère sacerdotal. Non seulement en ordonnant des
hommes mariés – ce qui se fera sans doute un jour –, mais surtout en repensant
la place des femmes dans l’Église. Car la grande question est bien celle-là. Le
cléricalisme auquel on impute toutes les dérives présentes s’enracine dans leur
exclusion.
La Croix, 20.03.2019
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